la Antigua de Guatemala », porte bien son nom, le nom du temps où cette cité était capitale d'une colonie qui allait du Mexique au Panama. Sur un côté de sa place centrale, une imposante façade à colonnes conserve, gravées dans la pierre, les armes des rois d'Espagne. Ce n'est qu'une façade : derrière, le palais de Los Capitanes Generales n'est plus, réduit en poussière par un méchant tremblement de terre. C'était hier, en 1717.
Bien d'autres édifices ont souffert. Comme le couvent San Francisco, un bâtiment sans toit et où l'on voit le ciel changer de couleur à l'ombre des nuages. A Antigua, les églises se comptent par dizaines, il y en a tellement que l'écrivain guatémaltèque, Miguel Angel Asturias, Prix Nobel de littérature en 1967, a écrit qu'ici « on éprouve un grand besoin de pécher ».
Antigua est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité. Ce qui reste de sa grande histoire est donc conservé, presque figé : les ruines d'un catholicisme triomphant ; les pavés noirs de ses rues, noirs comme la lave des volcans qui l'entourent ; les patios ombragés de ses maisons, défendus par d'épaisses portes de bois vermoulu. Seule concession, ses murs ont été couverts d'ocre.
« La plus belle ville du monde », pour Carlos, un étudiant à l'Alliance française, a la beauté d'un très vieux monde. Celui des conquistadores. C'est une cité agréable, au climat si doux, si charmante au regard, mais une ville décor où les Mayas sont des figurants.
Le peuple du Guatemala vit ailleurs, au bord du lac Atitlan peut-être, qu'il est bon de rejoindre au soleil couchant, quand ses eaux se font bleu acier. Et, au matin, pour quelques quetzals, le Santa-Catarina, un rafiot brinquebalant, embarque vers le village de Santiago de Atitlan. Une heure de traversée, de vent, de pêcheurs sur de frêles pirogues, et trois cônes de volcans en repère.
Au débarcadère - des pontons de planches disjointes et des piquets plantés de travers -, des femmes vendent des épis de maïs cuit et des mômes invitent les passagers à une cérémonie, celle de Maximon, une des divinités mayas.
Dans une maison sombre, deux femmes habillées de couleurs implorent le guide spirituel de régler leurs soucis matrimoniaux. Maximon est là, du moins sa représentation, comme celle de son double catholique, saint Simon, mannequin de bois coiffé d'un chapeau et cigarette allumée au bec. Les incantations se noient dans les fumées de l'encens et les vapeurs de l'alcool.
A quelques pas, sur le parvis de l'église, des petites filles jouent à chat perché en riant. A l'intérieur, les statues des saints sont couvertes des vêtements traditionnels des tribus tzutuhiles. Sur un mur, une collection de petites croix de fer, comme autant de morts ou de disparus. Une stèle, en espagnol et en anglais, raconte quelques tristes épisodes des années 1960-1990, lors de cette terrible guerre civile qui a meurtri chaque famille.
Le Santa-Catarina repart, c'est sa dernière rotation avant que le lac fasse des vagues, comme à chaque fin d'après-midi. Retour à Panajachel, avec ses bars à musique américaine, ses boutiques de souvenirs tant de fois vus déjà, ponchos un rien péruviens, colliers de jade, sacs multicolores, et tous ces tissus qui « viennent de Chichi », assure le vendeur.
« Chichi », la ville de Chichicastenango, c'est encore plus au nord, à plus d'une heure de route de lacets, d'arbres verts et immenses, de gens assis à des carrefours qui attendent des cars en retard.
A « Chichi » aussi, il y a une place centrale, avec deux églises blanches, face à face, et entre les deux un poteau, « le » poteau, « el palo volador ». Le 21 décembre, des hommes ont l'immense privilège d'aller se suspendre à une corde et de tourner comme des toupies folles à plus de vingt mètres de haut.
Les Mayas célèbrent toujours les solstices et l'art du commerce. Demain, dimanche, c'est jour de marché. La veille, venus de tout ce pays de montagnes et de ravins, des Indiens Quichés installent les étals, les protègent de plastique bleu ou noir, c'est selon, tendu par un habile Meccano de bois léger qui fait charpente.
A la nuit, éclairée d'ampoules nues qui se balancent à un fil, tout est prêt. Beaucoup dormiront sur les ballots de leurs marchandises. Il fait frais à cette altitude, plus de 2 000 mètres, mais le jour viendra vite, avec les klaxons des cars bariolés des villages alentour, les bus climatisés des touristes qui déambulent le sac à dos sur le ventre de peur de le perdre dans la foule.
Seuls les porteurs de lourds fardeaux se fraient un chemin dans les allées. Les autres marchent à pas menus. Textiles, fruits, sacs, cassettes, légumes, masques de bois, épices, viande, CD, poisson séché, poulet grillé et tortillas, le marché est ouvert à tous les commerces.
On y mange, on y parle, on y fait des affaires, « buen precio, good price, bon prix ». On y prie aussi. A genoux devant les autels, missels et chants, ou assis sur le parvis, murmures inaudibles et encensoirs, échos d'autres cérémonies qui se tiennent sur une des collines autour de « Chichi ».
Un sentier mène à ce lieu sacré, Pascual Abaj, une pierre vieille de plusieurs millénaires, un tas de cendres encore chaudes, des chiens qui lèchent les restes de sang d'animaux sacrifiés. Deux policiers veillent, indifférents. En face, sur une autre colline, le cimetière, palette de vert et de bleu, les couleurs de ses tombes. Un groupe de garçons va jouer au foot avec le bonheur d'un jour de vacances.
Sur la place centrale de « Chichi », derrière les étals des marchands, se tient un musée aux vitrines de figurines en terre cuite, de céramiques, poussières de la culture quiché d'avant les Espagnols. Soudain, une coupelle dorée : il y avait donc bien de l'or dans cet eldorado. C'est peut-être pourquoi les hommes bercés d'eau-de-vie tanguent au bord des trottoirs, comme suspendus au fil rompu de leur histoire. A moins qu'ils ne fêtent simplement la fin du marché.
Les bus climatisés des touristes sont partis, comme les cars bariolés chargés jusqu'au toit s'en sont allés. Reste cette odeur presque âcre, celle de la résine du bois des montagnes, bois pour se chauffer, bois pour cuisiner, un parfum de la nature.
Les marchands remballent, l'atmosphère change, moins pressée, presque joyeuse, le soleil baisse, comme les prix. Cette petite statue, par exemple, emportée pour trois fois rien, serait la reproduction à l'identique d'une autre, découverte à Tikal.
Pour rejoindre cette cité perdue et en partie retrouvée, une bonne journée est nécessaire, surtout si au lieu de la route goudronnée on prend les pistes cahotantes qui mènent à la sierra de Chama.
Là se croisent tant bien que mal des camions lourds et lents, comme ceux du Salaire de la peur. V iennent des villages tout simples, Sacapulos puis Upsantan, avec des ados casquettes à l'envers sur la tête qui jouent au basket. C'est le pays de Rigoberta Menchu, Prix Nobel de la paix en 1992.
Puis arrivent les premières plantations de café, les palmiers, les yukas. La terre change de couleur, presque rouge par endroits, les maisons gardent la même boue de la misère.Des petites filles vendent des oranges. La nuit tombe à Florès, cité lacustre.
C'est tôt le matin que Tikal se visite le mieux, pour y être moins nombreux, prendre le temps de regarder les pierres noires d'humidité, imaginer celles qui sont encore enfouies sous la végétation, compter les siècles qu'il faudra pour tout découvrir. Et puis monter au sommet du temple IV, d'où l'on entend les cris déchirés des singes hurleurs, et regarder la pointe des arbres à perte de vue. Les Mayas viennent de là.