Nostradamus, c’est des conneries selon certains, la vérité selon d’autres, une énigme pour la majorité. Le problème est qu’une prédiction de Nostradamus est sous les projecteurs une fois que l’événement prédit est passé, pas avant. Du coup, on peut tout justifier. Bref, pas folichon.
Presque trois ans jour pour jour après le 11-Septembre, alors que je cherchais (dans le cadre du billet C’était quoi, l’ancienne ?) des informations à propos de la Nouvelle-Angoulême, j’ai trouvé une page sur la grande frayeur annoncée. On y analyse une prédiction de Michel de Nostre-Dame censée se réaliser en 1999. Or, comme le signale l’auteur en ce 3 février 2001, point de catastrophe en 1999. Pour le plus grand bien de l’humanité, l’étoile de Nostradamus a momentanément pâli. Il va ensuite essayer divers déchiffrages alternatifs pour justifier une date légèrement décalée par rapport à celle de 1999. Comme nous le savons rétrospectivement, elles se révéleront tout aussi fausses. Les calculs de de Nostre-Dame étaient faux.
Pour les dates. Pour les événements, lisez donc…
Après les attentats du 11-Septembre a circulé un canular fort grossier. En anglais contemporain et n’étant pas même un quatrain, voici la fausse « prédiction de Nostradamus » :
In the City of God there will be a great thunder,
Two brothers torn apart by Chaos,
while the fortress endures,
the great leader will succumb,
The third big war will begin when the big city is burning
Même traduit en français, ça ne ressemble guère au style de Nostradamus, cryptique à souhait et mélangeant trois langues différentes (latin, vieux français et provençal).
Oublions ce maladroit pastiche et concentrons-nous plutôt sur le vrai :
L’an mil neuf cens nonante neuf sept mois,
Du ciel viendra un grand Roy d’effrayeur,
Resusciter le grand Roy d’Angolmois,
Avant apres Mars regner par bonheur.
L’article où j’ai découvert ce quatrain a été rédigé entre septembre 2000 et septembre 2001 (un examen des entêtes HTTP pourrait m’en dire plus, mais je ne sais pas faire). À la date de rédaction, l’auteur s’extasiait pour le règne du bonheur de Mars (dieu de la guerre, mais aussi de la prévention de cette dernière), puisqu’alors avait lieu le Sommet du millénaire de l’ONU (organisation qui prévient la guerre, comme tout un chacun peut aisément le constater tous les ans) et se laissait aller à de la surinterprétation, le tout pour un résultat discutable.
Évidemment, le 11-Septembre n’était pas encore advenu.
Chute sur la Nouvelle-Angoulême
À la lumière de cet événement tragique, le quatrain peut être vu très différemment.
Avant de s’appeler New York, la métropole s’appela La Nouvelle-Amsterdam (elle était aux mains des Hollandais et son dernier gouverneur hollandais, très impopulaire, s’appelait Peter… Stuyvesant). Avant que soit construite la ville, cependant, le lieu avait déjà été visité par un explorateur missionné par François Ⅰer, l’italien Giovanni da Verrazano. Il nomma ce qui est aujourd’hui Staten Island Nouvelle-Angoulême (pour les raisons, se reporter à C’était quoi, l’ancienne ?).
grand Roy d’effrayeur est une épithète atypique, mais acceptable, pour des Boeing 767 qui sont venus du ciel. Je soupçonne qu’il y a plus derrière tout ça, cependant.
le grand Roy d’Angolmois, réfère donc au grand roi de New York, qui par métonymie désigne les États-Unis. Ce grand roi est par conséquent le gouvernement états-unien.
Resusciter : je crois que les conséquences du 11-Septembre, justificatif facile et obligatoire à ce qui se passe depuis une demi-douzaine d’années, peut bien se traduire comme une « résurrection » pour une certaine ligne politique « morte » depuis 1991 et la chute du communisme.
Il me reste les premiers et derniers vers. Pour le premier, soit il s’agit d’une erreur de calcul (on ne peut pas lui en vouloir sur cinq-cents ans, hein !) soit il s’agit d’un message caché : 1999, c’est presque 2000 (la fin d’une ère ?) mais pas tout à fait. Pour les sept mois, peut-être peut-on voir une référence mystique (ah, la mystique du sept…). Pour le dernier, je ne sais trop non plus. L’orgie patriotique états-unienne peut être vue comme le carburant du règne de Mars (Afghanistan et Irak), mais ce serait me donner des capacités d’analyse que je n’ai pas. De toute manière, des têtes vont sûrement tomber d’ici quelques années.
Ou bien…
Ou bien 1999 n’est pas du tout la bonne date. Une page, Le quatrain Ⅹ.72, nous donne deux informations importantes :
dans un lettre à son fils, Nostradamus signale qu’aucune date n’est donnée en clair. Par voie de conséquence, si une date semble apparaître en clair, c’est pour mieux nous tromper. 1999 peut être n’importe quoi, sauf 1999.
La date semble plus proche de 1599, mais Nostradamus ferait un lien entre ces deux époques.
Nostradamus fait donc peut-être un lien entre nos deux époques: la Renaissance et l’entrée dans le ⅩⅩⅠe siècle. Nos deux époques se ressemblent en effet à de nombreux égards : la Renaissance était l’époque des grandes découvertes, celle de l’Amérique ; l’Église était en crise et l’astrologie était en vogue ; c’était l’époque des progrès scientifiques ; et de l’invention de l’imprimerie. S’il fallait décrire notre époque, utiliserions-nous d’autres termes ? Nos grandes découvertes, c’est l’exploration spatiale ; l’Église est en crise et l’astrologie est en vogue ; et l’on entend dire qu’après l’imprimerie, c’est l’utilisation de l’Internet qui va révolutionner notre vie, et changer les pensées. Enfin à son époque Nostradamus rédigeait les Centuries. En 1999, on publie le premier ouvrage qui propose la traduction intégrale du texte de la Renaissance, comparé aux événements de l’Histoire. Nostradamus est donc enfin compris. On peut appuyer encore dans ce sens en se rappelanrt que Nostradamus présente notre époque comme un moment où l’ignorance sera dissipée…
Il n’empêche, toutes ces interrogations datent d’avant le 11-Septembre, qui semble apporter une réponse « élégante ».
Conclusion
Nostradamus a-t-il prédit les attentats du 11-Septembre, en donnant le lieu (Nouvelle-Angoulême / New York) et le modus operandi (tombant du ciel), mais en se trompant sur la date ? Pourra-t-on jamais le savoir ? La date même de la page sur cette citation est-elle correcte, ou bien est-ce un article antidaté (archive.org penche pour l’antidatage, sachant que Wayback Machine remonte jusqu’en 1996) ? Les entêtes HTTP quant à eux donnent octobre 2002… donc bien après les événements. Mais aucune de ces pistes n’est parfaite : la moindre modification orthographique change les entêtes HTTP et archive.org, difficile de savoir vraiment jusqu’où il remonte pour certaines zones. Bref, le mystère de la page sur Nostradamus est aussi épais que les prédictions de l’intéressé.
Autant de questions sans réponse. Plutôt que de terminer sur une frustration, terminons sur une ironie :
L’île abrite depuis la deuxième moitié du ⅩⅩe siècle le plus important site d’enfouissement des déchets de New York (le Fresh Kills Landfill), fermé début 2001 pour son excessive production de méthane (la plus importante du monde), mais rouvert la même année pour y entreposer les débris du World Trade Center.
Ainsi donc, la Nouvelle-Angoulême accueille les restes des ravages du grand Roy d’effrayeur…